MikeZup persiste et signe avec Omerta Vol. 3, une mixtape où sa voix rauque, son flow intraitable et sa plume acérée résonnent avec une intensité toujours aussi mordante.

«Moi je fais un produit raw. Soit que t’aimes ou que t’aimes pas», synthétise le rappeur lavallois au bout du fil, quand on lui fait remarquer le côté tout particulièrement brute de cette troisième mixtape issue d’une série amorcée l’an dernier. «J’ai une grosse voix, alors chanter avec des notes aiguës, c’est pas mon truc.»

C’est pourtant un rappeur reconnu pour son flow assez mélodieux, 50 Cent, qui a donné envie à MikeZup de s’initier au rap au tout début de l’adolescence, à l’instar de rappeurs légendaires de l’Hexagone comme Sinik, Booba, Psy 4 de la rime et Soprano. Grâce à un ami proche ayant à sa portée «un micro d’ordi acheté au La Source» et judicieusement «pluggé sur Audacity», le jeune rappeur a enregistré ses premières chansons, qui n’ont pas mis de temps à retentir dans les écouteurs de ses comparses de l’école. Après une expérience concluante au concours Secondaire en spectacle, durant laquelle il a atteint la finale, il a profité des contacts d’un ami de son père pour donner un élan supplémentaire à sa carrière embryonnaire. «Il a entendu mes maquettes du secondaire et m’a dit qu’il connaissait un boy avec un studio professionnel. Ce gars-là, c’était Le Chum», dit-il, à propos de ce pionnier du trap à Montréal. «C’est là que j’ai enregistré mon premier track officiel, Travaille ton futur, vers 2007 ou 2008. Ça m’a motivé en tabarnak.»

MikeZup n’a toutefois pas appliqué à la lettre le message qu’il tentait de livrer à travers cette première chanson officielle, maintenant effacée de la toile. «Y’a des places où je me suis égaré : j’ai fait des conneries incroyables, j’ai fini en prison… J’ai pas écouté le message de ma propre chanson», admet-il, reconnaissant l’ironie de la situation. «Mais, au fond de moi, on dirait que je savais que je devais faire mes propres expériences pour comprendre des trucs... pour être moins naïf.»

C’est maintenant ce parcours en demi-teinte qui nourrit ses textes empreints de violence, mais aussi de résilience. «J’ai fait du bread / Mais c’est pas le rap qui a payé la rolex / J’ai bossé dur maintenant je flex / J’ai vendu de la drogue et du sexe / Tu veux du mou ou bien du dur / Mais aujourd’hui, j’te vends des textes», déballe-t-il en ouverture sur Intro, l’une des chansons les plus profondes et sincères du projet aux côtés de Soucoupe volante et Porte au nez. «Ces tracks-là, je suis obligé de les écrire quand je suis tout seul. Des fois, j’en ai les larmes aux yeux… C’est important pour moi de m’appliquer pour des chansons aussi deep que ça», explique celui qui, à travers ces pièces, désirent faire écho à ses premiers amours musicaux du rap français.

Autrement, Omerta Vol. 3 reste un récit assez virulent des rues de la banlieue montréalaise. À mille lieues du côté ludique et quelque peu risible de Dans ma ville, hymne à Laval de Maybach et sa clique paru en 2010, LVL montre à quel point la troisième ville la plus populeuse au Québec a changé en une décennie. «Depuis tout petit, j’me balade sur la 440 / Plein de Blacks, plein d’Arabes, minorité apparente / Plusieurs clients en attente / Laisse-moi passer la patente / C’est la guerre dans ma ville / Laisse-moi fumer la plante», y rappe MikeZup avec son flow frappant.

«(Dans ma ville), jusqu’à aujourd’hui, j’en ris! À mon avis, y’a d’autres gens qui auraient mieux représentés la ville qu’eux à l’époque, mais c’est certain que c’est rendu pas mal plus chaud maintenant. Y’a eu une évolution dans les buildings, les routes, la construction… Tout devient très moderne, et beaucoup ont choisi de déménager ici. Et quand la rue débarque, la rue débarque! Cette année, y’a eu beaucoup de fusillades, d’altercations. On espère que ça va aller pour le mieux et, pour ça, faut se souder.»

La mission est toutefois loin d’être réussie dans cette ville où chaque quartier semble avoir sa propre scène et ses figures emblématiques (Lebza Khey à Chomedey, JPs à Laval-des-Rapides, Shreez et une partie de Canicule Records à Fabreville) «Y’a pas de clash à Laval, mais la scène est pas unie. Y’a des petites histoires entre chaque quartier, donc les gens veulent éviter de s’associer», observe celui qui représente le secteur Auteuil. «Mais ça peut s’arranger avec le temps, c’est sûr. Moi, par exemple, je viens de faire un feat avec Jackboy… Qui l’aurait cru?»

Et pourquoi? «… Ben comme tu peux le voir sur Internet, je suis un gars qu’on peut associer au côté bleu, tandis que Jackboy a toujours été davantage vers le côté rouge. Mon père était un chef de gang, donc c’est sûr que de faire un feat avec lui, c’est incroyable. Ça va probablement en frustrer deux ou trois, mais il y en a beaucoup qui vont être contents.»

À 24 ans, le rappeur tourne donc tranquillement la page sur sa période plus tumultueuse. Propriétaire du studio 630, où a notamment été enregistré le disstrack de Cyrano de Montréal à Ti-Kid (financé par ce dernier à des fins promotionnelles), MikeZup met tout en oeuvre pour vivre à temps plein de la musique. «Depuis que j’ai constaté qu’on pouvait en vivre, j’ai décidé de toute mettre mon énergie là-dedans», dit celui qui a multiplié les singles avant de faire paraître la mixtape «Mauvaise humeur» au printemps 2019. «Avant ça, je prenais pas la musique au sérieux.»

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Bref, beaucoup de changements en moins de deux ans pour le père de deux jeunes garçons. «Je suis moins explosif qu’avant. Tu m’aurais dit «ta gueule» à un certaine époque et je t’aurais éclaté la tête! Maintenant, je réfléchis, car je sais que je peux m’attirer des problèmes avec ce genre de comportements. Je suis plus calme, plus discipliné. Je sais que mes enfants ont besoin de moi.»

Et, en cas de doute, c’est la mémoire de son père, décédé il y a cinq ans, qui vient à sa rescousse. «J’ai une photo de lui à côté de mon ordi. Quand je ne sais plus pourquoi je le fais et que j’ai le goût de tout lâcher, je la regarde, et ça me pousse à continuer. J’aurais tellement aimé qu’il entende ce que je fais aujourd’hui…. La plupart des gars avec qui j’ai collaboré dernièrement, comme Fuccè, SP, Le Connaisseur ou Souldia, ce sont tous des gars qu’il appréciait et qui ont décidé de me donner une tape dans le dos», confie celui qui sortira cet automne une version deluxe de cette troisième édition d’Omerta, à titre de conclusion de la série.

D’ici là, MikeZup compte poursuivre sur sa belle lancée en redoublant d’ardeur et de rigueur. «Avant, je pensais que les médias parlaient juste des mêmes artistes, mais maintenant, je vois qu’ils parlent tout simplement de ceux qui travaillent le plus fort. En deux ans, je vois où je suis rendu, et c’est juste incroyable.»

De là, encore une fois, l’importance de travailler son futur.

Photo : Archives MikeZup

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