En amont de la sortie de son dixième album, Dixque d’art, Souldia nous a rejoint dans un bar de l’Avenue Mont-Royal à Montréal pour parler de ce qui fait sa marque de fabrique : la rue et le poids des mots. Entretien avec le rappeur de Limoilou.
Pour Souldia, l’heure est au bilan. Depuis quelques semaines, le rappeur de 36 ans se remémore son histoire tumultueuse en republiant ses albums sur les réseaux sociaux. Au bout de cette route, un dixième long-jeu à la pochette dorée Dixque d’art fait office de bilan : « tout le meilleur de mon expérience, je l’ai mis en pratique sur cet album. Pour la première fois, je réécoutais mes précédents albums pour ne pas dupliquer ce que j’ai fait par le passé », avoue-t-il.
Son nouvel album concentre l’essence de son style caractéristique : textes d’écorché vif mêlant l’égo-trip au storytelling, éclectisme musical et une interprétation hautement poignante. Pendant une heure et six minutes, le dénommé Soldat rappelle pourquoi il est aussi indispensable au paysage du rap québécois. Rappelons qu’en plus d’être un rappeur aguerri, il est également le parrain d’une nouvelle génération ancrée dans les quartiers populaires. Fort d’une réputation à toute épreuve et de collaborations solides avec la crème du rap street, Souldia parvient à transcender les générations et les époques, s’abreuvant autant de l’inspiration de ses héros que des rookies qui fourmillent dans la scène montréalaise. « J’ai beaucoup de petits frères dans mon quartier qui me font découvrir des artistes. Ça a été notamment le cas avec YH ». C’est cette oreille sur la jeunesse qui l’a, depuis Survivant, érigé en rappeur incontournable à la fois par la scène montréalaise que par le reste du Québec.
Issu d’une génération ayant mis en avant l’unicité comme valeur cardinale, le style tape-à-l’œil de Shreez ou Tizzo, fréquents collaborateurs du soldat, l’ont naturellement marqué. « Qu’est-ce qui me fascine dans leur style? Leur originalité, comment ils jouent avec les mots, les adlibs. On se connaît par des gens en commun dans la rue, en prison, comme beaucoup de mes connexions dans le rap (c’était pareil pour Enima et Sadik). La première fois que je les ai rencontrés, c’était une vraie rencontre humaine. J’ai développé des gros liens avec eux, c’est la famille. C’est drôle, mes enfants les appellent régulièrement par FaceTime. » Avec celle de Shreez, la prestation inopinée du rappeur français Grödash est venue magnifier le morceau « Testostérone », qui porte bien son nom, avec son instrumentale drill : « La connexion avec Grödash, elle s’est faite à travers Usef (d'Naït Iceland Film). Le réalisateur vidéo, proche ami de Souldia, avait réalisé un de ces clips. Fait cocasse, Grödash a récemment samplé la vidéo virale « Tequila, Heineken » pour son morceau Voilà.
La douzième piste de Dixque d’art met en scène quatre participants à l’émission La fin des faibles : LeMind, Helmé, Jam Khalil et Woodman (pour un rare couplet en français). « À leur place, je me serais inscrit directement. Pour moi, si t’as pu livrer ton message à la télévision, t’as déjà gagné. Je me suis dit pourquoi pas leur donner une belle vitrine. J’ai beaucoup aimé mon expérience en tant que juge là-bas, ça m’a beaucoup ramené à l’importance de l’écriture. Je suis un gars qui aime les mots. Je pourrais écouter un gars qui rap sur une basse et un snare. Un bon rappeur peut faire n’importe quoi avec n’importe quel beat. C’est beaucoup à porter. Je trouvais qu’ils avaient des couilles ces gens-là », admet-il.
Photo : Nikola Bolduc
Passé assez tôt par la case « Centre jeunesse » - qu’il décrit lui-même comme des prisons -, n’a eu d’autre choix que de déjouer les déterminismes et les scripts sociaux. Malgré les embûches posées sur sa route, la dure loi du système n'a pas eu raison de lui. « On vient d’un milieu où on était tellement pauvres que le peu qu’on recevait, on l’appréciait à fond. On se partageait une poutine à cinq et on faisait semblant d’être rassasiés parce qu’on était déjà contents de manger », confie-t-il. Le système carcéral, lui et ses proches le connaissent par cœur. Sur Ruelle, son acolyte de longue date Rymz rappe « J’attends la sortie de Die-On ». « Après avoir été en cavale pendant quatre ans, mon frère Die-On a pris une sentence de cinq ans de prison. À sa sortie, on compte publier son album sur ma maison de disque, Altitude », révèle le rappeur de Québec. Quand Souldia témoigne du parcours de son compagnon, il le fait sans amertume, comme si tout était déjà écrit d’avance et que le destin n’attendait de lui qu’il arpente la route qu’on lui avait tracée. « Tout est une question de choix. J’étais là quand Die-On a dû faire un choix : vivre la vie de Tony Montana ou faire de la musique. Dans son cas, il a dû payer les conséquences de ses actes. Moi, j’ai fait les bons choix au bon moment. Faire les deux en même temps, c’est impossible. Ça va clasher à moment donné », affirme-t-il.
Malgré cette distance, Souldia continue de cultiver une relation de proximité avec les habitants de Limoilou. Très connecté à la population de son quartier, il aime discuter avec ses voisins, des personnes criminalisées aux gens plus ordinaires : « Je ne connais que des gens qui sont associés à la rue. J’en serai jamais sorti à 100%, raison pour laquelle encore aujourd’hui, je ne refuse pas un seul appel de prison ».
Contrairement à la plupart des rappeurs, Souldia est un artiste ancré dans la matérialité de l’existence. Alors que d’autres misent sur l’extrapolation, l’illustration ou l’imaginaire, Souldia préfère décrire ce qu’il a vu et vécu dans toute sa chair. Les conséquences traumatiques de son passé impétueux imprimées dans son corps, il les transforme en punchlines et en rimes. Comme dans une psychanalyse, chaque séance d’enregistrement en compagnie de son ingénieur Christophe Martin a pour objectif la sublimation : « Des fois, j’ai l’impression que j’aime tellement le rap que je le déteste. Je ne peux pas m’empêcher d’en faire, l’inspiration me traverse et j’ai besoin d’écrire, de créer ». Son rap, c’est sa thérapie, comme dirait un certain Dramatik.
Photo : Nikola Bolduc
C’est après avoir arpenté les rues, multipliant les gros et petits larcins que Souldia a fait le choix du rap. Mais la violence qu’il a vue et vécue continue d’habiter ses textes. Dans Ce n'était pas voulu, le MC décrit une vie pavée par le destin et par des choix déchirants, piégé dans un système qui le dépasse. C’est cette honnêteté et authenticité qui le sauve. Il ne cherche pas à être un exemple, mais simplement à inspirer quelques personnes à sortir la tête de l’eau. La musique qu’il préfère, c’est celle à laquelle il peut s’identifier. En témoignent ses coups de cœur musicaux du moment, les rappeurs drill Ashe 22 (« j’aime beaucoup les rappeurs qui ont des grosses histoires ») ou encore le britannique Central Cee. Ceux-là même dont les raps puent la rue.
La Fonky Family, le Rat Luciano, Suprême NTM, Sniper. Même aujourd’hui, c’est des personnes avec qui j’échange, je les écoutais énormément quand j’étais plus jeune. C’est mon amour de la langue française qui me lie à ces gars.
Souldia
Ses plus grandes inspirations? L’intéressé répond sans hésitation : « la Fonky Family, le Rat Luciano, Suprême NTM, Sniper. Même aujourd’hui, c’est des personnes avec qui j’échange, je les écoutais énormément quand j’étais plus jeune. C’est mon amour de la langue française qui me lie à ces gars. J’écoutais beaucoup plus de rap français qu’américain. Québec c’est beaucoup plus francophone que Montréal alors ça nous touche d’autant plus. J’ai des frissons quand j’en parle ». Il nous révèle par ailleurs que Sinik l’a invité sur son prochain album.
Souldia est un homme de sa génération, béni par une longévité dont peu peuvent se vanter comme lui. En ce sens, la musique passe au premier plan et les morceaux, aussi ouverts et pop soient-ils, sont créés par coup de cœur pour un style de production. « J’ai pris du temps avant de découvrir que je faisais beaucoup de chiffres. En passant, ça m’énerve quand les artistes se vantent de leurs chiffres, les pétages de bretelles, les diss lancés dans les nuages », avoue-t-il.
Après l’avoir vu publier son 10e effort, faire sauter des foules de milliers de personnes d’innombrables fois et même côtoyer ses idoles de jeunesse, on est tenté de se demander ce qui lui reste à accomplir. Quelle suite à l’histoire qu’il est en train d’écrire? Sa réponse est sans détour : « S’il y en avait pas, ce serait une belle fin. Je suis satisfait de ce que j’ai accompli jusqu’à présent, j’ai fait le tour du monde avec ma musique. Mes rêves de jeunesse, je les ai déjà accomplis ».
Dixque d'art est toujours disponible sur toutes les plateformes numériques, et en vente en ligne sur la boutique de 7ième Ciel Records.
Photos : Nikola Bolduc pour HHQc