Le 30 avril 2022 marque les 25 ans du premier album de Dubmatique, encore à ce jour l’album le plus vendu de l’histoire du rap québécois. Mais les célébrations de ce quart de siècle seront loin d’être aussi festives que celles du 20e anniversaire. Rejoint au téléphone plus tôt cette semaine, Ousmane Traoré (alias OTMC) nous annonce plutôt que son duo se sépare.

« Le groupe n’est plus en mesure de se réunir, de faire des activités, bien qu’on ait reçu plusieurs demandes dans les derniers mois. Quand ça marche pas, ça marche pas », explique le rappeur montréalais au bout du fil.

Complété par Jérôme-Philippe Bélinga (alias Disoul), Dubmatique tire donc sa révérence après environ 30 ans d’activités. Au tournant des années 2000, le départ d’Alain Benabdallah (alias DJ Choice) avait toutefois fragilisé la formation, qui n’a fait paraître qu’un album dans les deux dernières décennies (Trait d’union, 2009). « Quand on était actifs dans les années 1990, on était dans une période de nos vies où on avait tout l’avenir devant nous. Maintenant, si on regarde la situation de chacun, y’a DJ Choice qui a quitté le navire il y a plusieurs années. Il avait des responsabilités familiales, il a dû quitter Montréal. Jérôme, lui aussi, a une famille à s’occuper. Moi, même chose : j’en ai trois dans les bras [...] Tout ça fait que, si on n’est pas capables de se remettre dans [l’état d’esprit initial], ça ne vaut pas la peine. C’est pas par peur de décevoir, mais c’est plutôt l’envie de laisser une belle image, des bons souvenirs [à nos fans]. »

Suite au 20e anniversaire de La force de comprendre, Dubmatique avait connu une belle période, notamment marquée par la tenue de plusieurs spectacles, dont un particulièrement mémorable sur une scène extérieure aux Francos de Montréal. « Ça a été des moments émouvants pour nous. De voir les gens qui chantent, d’en voir certains avec les larmes aux yeux, c’est magique [...] On a encore des demandes, mais on ne pourra pas les honorer. On préfère que ça reste comme ça. Y’en a qui vont exploiter la nostalgie, mais on est rendus ailleurs. Ce n’est plus à nous de faire vivre notre musique, c’est à nos fans. Ça va être à eux de faire écouter Dubmatique à leurs enfants [...] Nous, on a fait notre travail, on peut récupérer nos vies. »

Histoire de terminer l’aventure Dubmatique sur une bonne note, OTMC a pris le temps de revenir avec nous sur le contexte de création de chacune des chansons de La force de comprendre, un album qui restera à jamais gravé dans les pages de l’histoire de la musique québécoise.

Soul Pleureur​

À la base, quand on a reçu le support musical de DJ Choice, la chanson n’avait pas le thème qu’on connaît maintenant. C’était parti sur une histoire de relations amoureuses ou quelque chose comme ça. Mais un jour, Jérôme a appris qu’un de ses amis aux États-Unis était mort. On connaissait pas les raisons de ce qui s’est passé, il était vraiment sous le choc. Il a eu une écriture instantanée. Comme un moyen de mettre un baume sur sa peine. Il l’a essayé sur cette instru de Choice et, même si c’était personnel comme texte, on a décidé de garder la chanson comme ça. Par la suite, on a fait un genre de casting pour trouver un petit refrain. On avait rencontré Barnev dans un bar où il était DJ et on s’était souvenus de lui. On est allés dans un studio du Vieux-Montréal et, dès qu’on a fini le casting, on savait que ça allait être lui.

Dire

À l'époque, on était entourés d’artistes. Tout le monde essayait de réussir à sa manière. Et nous, on avait conscience qu’avec le rap, on avait une chance unique de passer un message. C’était vraiment ça, la clé. Ce message [d’authenticité] s’adressait à nos pairs à une époque où ça bougeait, où ça grouillait. On s’est associés au chanteur Mikey Dangerous afin d’amener une couleur reggae à notre musique. En fait, on était très inspirés par le reggae, par l’esprit dénonciateur. On traînait dans le coin jamaïcain de Lionel-Groulx. Ça parlait principalement anglais autour de nous.

Jamais cesser d’y croire

C’est l’histoire de Dubmatique. Un chemin qui a commencé depuis la France pour moi et qui s’est poursuivi au Sénégal après. Là-bas, Jérôme et moi, on avait un groupe avec mon frère, Trouble MCs. Ensuite, je suis retourné en France, et Jérôme est parti au Québec. On s’appelait et on rappait deux heures au téléphone. C’est ce chemin-là dont on parle: un chemin qui nous a amenés à voir l’évolution des scènes rap du Sénégal et de la France. On voyait bien que le rap allait se diffuser à travers la planète. On le sentait, on l’a vu. On s’est dit : ‘’Si ça s’est passé là-bas, ça va se passer ici!’’

La morale

La morale, c’est un peu ce que nous ont légué nos parents. Ça fait partie de notre éducation. La culture africaine est présente chez nous. Nos parents avaient toujours un conseil à nous donner, une réflexion à nous transmettre. On a voulu suivre leurs pas. On se posait la question : ‘’Est-ce que les jeunes une morale?’’ En quelque sorte, on prend la responsabilité de se poser cette question

Authentiques (avec 2Bal)

La gérante de 2Bal, on l’a connue par l’entremise de Cédric Morgan (NDLR : personnage très influent pour la scène rap québécoise à la fin des années 1990, il a été gérant de Dubmatique à leurs débuts et il est aussi le fondateur des Disques Mont Real). Elle nous a fait venir aux Francofolies de La Rochelle et, quand est venu le moment de faire l’album, on avait gardé contact avec elle. 2Bal passait aux Francofolies de Montréal et on les a interceptés. Connaissant le niveau des rappeurs français, on savait qu’ils étaient très forts, donc on a commencé à décortiquer des idées avant même qu’ils se pointent au studio. Ensuite, on a créé le refrain sur place, tous ensemble. Tout s’est fait de manière très spontanée.

Un été à Montréal

Pour nous qui avons connu le Sénégal et la France, on a vécu un choc après notre premier hiver. De voir comment la ville changeait l’été, ça a été une belle surprise. On a écrit ce morceau dans le but de garder le souvenir de l’été en nous, en sachant que l’hiver allait revenir. Ça a été notre carapace, notre façon de se dire : ‘’Ça va revenir l’été!’’ La bande sonore de DJ Choice avec le funk, ça nous a inspirés le refrain. Et, évidemment, le morceau a été écrit en plein été!

La force de comprendre

Cette chanson-là, c’est vraiment ce que le rap nous demande de faire. C’est ce que le rap exige, c’est-à-dire d’observer, de donner la température de la société. Quand Jérôme dit ‘’J'ai cru apercevoir cinq heures plus tôt six jeunes abattre cet homme’’, il parle de ce qu’il avait vu la veille. Moi quand je dis ‘’Travailleras-tu, travaillera-t-elle?’’, je parle de nous, de gens autour de nous qui cherchaient du travail. C’est vraiment un morceau à message. On se disait qu’en laissant ce témoignage, les gens pourront le réécouter et tenter de comprendre, tenter d’avoir la force de comprendre. C’est devenu le titre de l’album par la suite. Y’a de la pauvreté et des injustices autour de nous, on voulait en parler. Les gens maintenant prennent le rap comme du divertissement avec la voiture, les chaînes, mais nous, on n’était pas dans cette mentalité-là.

Voir pour le croire​

On voulait arriver avec un message précis. Du genre : ‘’Crois-moi, y’a pas que des belles choses qui se passent!’’ On dit que le rap est une musique de jeunes. Justement : nous, on était jeunes et on se retrouvait avec un public de jeunes. On tentait de les conscientiser, en montrant le vrai visage de la société.

Mère Afrique​

On aborde notre histoire, mais vue d'un autre continent. C’est une manière de revenir en arrière, en sachant très bien que Jérôme et moi, on ne serait pas où on est rendus si on n’avait pas été au Sénégal avant. On voulait rendre hommage au continent. Quand on s’est retrouvés en studio avec les couplets écrits, on s’est dit qu’on voulait un refrain en wolof. On a fait une petite recherche auprès d’un ami et programmateur au festival Nuits d’Afrique, et il nous a proposé d’entrer en contact avec deux jeunes Sénégalais qui venaient d’arriver au Québec. Ces jeunes-là, c’était les frères Diouf! On les a rencontrés à peine deux semaines après leur arrivée au pays. Par la suite, Dédé Fortin les a vus en tournée avec nous [et il les a repêchés pour Les Colocs].

Plus rien n'est pareil​

Cette chanson, c’est comme une relation amoureuse qui finit mal. On perd toujours les gens qu’on aime… Quand t’es jeune, y’a des douleurs qui sont dures à accepter. La séparation est plus difficile à accepter. On a essayé à travers cette chanson de décrire cette situation. Les premiers échecs en amour, ça marque toute une vie.

C'est de la bombe (avec Ménélik)

C’est notre réalisateur Vincent Egret qui connaissait Ménélik. Il avait réalisé un de ses clips. Ménélik venait à Montréal de temps en temps, on l’avait rencontré, et ça a tout de suite bien cliqué. Le refrain s’est fait en studio spontanément. C’est probablement le morceau le plus egotrip de l’album. On sort la confiance, l’assurance, l’ego, dans l’esprit de Ménélik qui, à l’époque, avait déjà une carrière bien lancée. C’est une façon de dire qui on est.

Montréal / Paris / Dakar

C’est une des premières chansons qu’on a écrites. On l’a toujours traînée. C’était notre hymne, celui qui représentait notre état d’esprit et ce qu’on voulait accomplir et représenter. On voulait réunir l’Afrique, l’Europe et l’Amérique. On voulait que les gens de partout [sur ses trois continents] puissent écouter notre album. C’est notre côté rassembleur. Beaucoup de gens se souviennent de nos spectacles avant la sortie de l’album. On la jouait sur scène, les gens chantaient les paroles. C’est pour ça qu’on l’a mise à la fin. Comme pour boucler la boucle.

Pour plus de détails sur l’histoire de Dubmatique et la création de La force de comprendre, vous pouvez lire cet article paru en 2017 sur le site du défunt magazine Voir.

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