« She’s a maniac, maniac on the floor. » En 1983, le film Flashdance connaît un succès fulgurant au box office. Pour le futur champion de breakdance de Montréal, Pierre Perpall Jr, c’est aussi l’initiation à sa nouvelle passion. À peine un an plus tard, avec son crew New Energy, il remporte le grand prix du concours Break Dance ‘84, premier événement hip-hop officiel d’envergure à Montréal. Récit de la naissance d’une culture sous les yeux du grand public.

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Québec soul

1966. La vague yé-yé - réponse francophone aux groupes de l’invasion britannique - bat son plein au Québec. L’émission Jeunesse d’aujourd’hui est le rendez-vous télévisuel hebdomadaire des jeunes fervents de musique et de danse. Ces jeunes, ils sont légion. Ce sont les baby-boomers.

Quand un groupe ou un chanteur se produit à Jeunesse d’aujourd’hui, c’est un succès overnight assuré. Un passage à l’émission engendre automatiquement des ventes stratosphériques de 45 tours‎ (vinyles 7") allant de dizaines de milliers à des centaines de milliers de copies.

Cette année-là, quand le chanteur Pierre Perpall est invité à l’émission, c’est toute une génération qui découvre de nouveaux pas de danse jamais vus à la télé québécoise. Né d’un père afro-américain et d’une mère québécoise, le jeune Pierre Perpall est l’émule locale de James Brown. Il emprunte la coupe afro et les pas de danse du Godfather of Soul. Pour la jeunesse à l’écoute, Perpall est l’incarnation du soul, le principal représentant de la culture musicale afro-américaine dans la Belle province.

Par la suite, Perpall suit les tendances musicales américaines à mesure qu’elles se développent : soul, funk, disco, electro funk… et son talent de danseur se développe au même rythme, suivant la même courbe évolutive jusqu’à l’époque du disco avec son locking et son popping. Il a été tout naturel pour son fils, Pierre Perpall Jr, de suivre les pas.


Pierre Perpall Jr et James Brown

Pop and lock

Dès la fin des années 70, le quartier Côte-des-Neiges de Montréal voit les crews de popping Cosmic Force et Vision Force naître dans ses rues. Parmi les pionniers, on retrouve les frères Eugene Poku et Johnny Shaka, originaires du Ghana.

Pierre Perpall Jr aussi s’intéresse à ces nouvelles danses. « Ma grand-mère m’a fait faire du ballet-jazz toute ma jeunesse et j’ai lâché le ballet-jazz pour faire du pop and lock, qui était la danse juste avant le breakdance », se souvient-il.

Flashdance

Mais c’est Sr Perpall qui le pousse à aller voir le film qui va changer sa vie. « Mon père me dit : “Il faut que tu ailles voir Flashdance!” Je vois l’annonce à la télé et j’me dis : non non, je n’irai pas voir ça moi, c’est comme Fame! », relate-t-il.

Malgré cette réticence, sa curiosité était piquée. Un soir de l’été de 1983, il s’installe confortablement dans une salle de cinéma montréalaise pour se faire une tête à propos de Flashdance. Le déclic se fait durant une scène qui dure à peine plus d’une minute. Après quelques secondes de pop and locks, des danseurs se retrouvent à faire des acrobaties au plancher.

Nouveaux réseaux

Abasourdi par ce qu’il vient de voir, Pierre profite du laxisme de l’époque et reste dans la salle de cinéma pour visionner le film une seconde fois. Il recommence ce manège durant deux semaines, jusqu’à ce qu’il se mette à reconnaître les visages d’autres jeunes qui utilisaient le même stratagème que lui.

Avec ces nouveaux amis, il intègre un nouveau réseau de kids branchés sur la culture hip-hop et fonde le crew de breakdance Ghetto Dancers. Quelques mois plus tard, il lance le crew New Energy avec son ami David Dundas.

De 1981 à 1985, le breakdance devient une mode et prend une ampleur difficile à imaginer de nos jours. Les films Wild Style (1982), Flashdance (1983), Breakin’ (1984) et Beat Street (1984) contribuent fortement à imposer la discipline dans la culture populaire occidentale.

1984, c’est LA grosse année du break dance à Montréal. Selon Dundas, cité par Lys Stevens dans son mémoire de maîtrise Breaking à Montréal : ethnographie d’une danse de rue hip-hop, de 50 à 100 groupes de break dance existaient alors dans la métropole.

Break dance ‘84

Cette vague atteint son paroxysme le 24 février de la même année au Spectrum lors d’un événement majeur - sinon fondateur - pour la scène hip-hop montréalaise : Break dance ‘84.

La crème de la scène naissante y participe. L’hôte de la soirée est Mike Williams, qui allait être embauché comme VJ à MuchMusic quelques mois plus tard. À ce moment, Mike est la voix de la scène hip-hop locale puisqu’il anime la seule émission de radio de musique urbaine à Montréal, Club 980, sur les ondes de CKGM.

Sur place, les DJ’s Butcher T et DJ Ray, deux pionniers de la scène, étaient derrière les wheels of steel. La jeune rappeuse Blondie B offre également une prestation durant la soirée.

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Les Shaka Brothers (Eugene Poku et Johnny Shaka), The Quality Crew et The Classy Crew sont invités à donner une démonstration de break dance hors-concours.

Le groupe electro funk montréalais Tchukon participait aussi à l’événement en offrant une prestation live.

Avec l’intérêt populaire dont bénéficie le break dance en 1984, les grands médias couvrent l’événement avec rigueur. Radio-Canada, La Presse et The Gazette, notamment, consacrent des reportages à la soirée. On peut affirmer sans se tromper que la scène hip-hop montréalaise est prise au sérieux pour la toute première fois.


Photo : Archives Eugene Poku (Shaka Brothers)

New Energy, champions montréalais

Ce soir-là, le battle de break dance se termine avec une victoire du crew New Energy. Le grand prix? 1000$ et une place en première partie de nul autre que le Soul brother number one, James Brown, au Palladium de Montréal (maintenant la Grande Bibliothèque). À partir de ce moment, Pierre Perpall Sr prend en main la carrière de New Energy et devient leur gérant.

Cette visibilité leur a valu d’être invités à plusieurs émissions de télé, de se produire avant les parties des Expos de Montréal au Stade olympique et même d’être sponsorisés par la bière Miller!

À noter que Michael McLean, décédé il y a quelques années, a également remporté la compétition individuellement.

Jusqu’à la séparation du crew vers le début de 1987, les danseurs de New Energy avaient suffisamment d’engagements et de contrats pour en vivre exclusivement! « On faisait de l’argent en tabarnouche! Pour un jeune de 17 ans… je faisais de 1500 à 2000 piastres par semaine! », témoigne Jr.

Une culture qui émerge

À la lumière de ces informations, on peut affirmer que le breakdance a été la première discipline issue de la culture hip-hop à véritablement percer le marché de la culture populaire au Québec. Et selon Pierre Perpall Jr, le graffiti vient en second lieu. Le rap issu de la vraie scène hip-hop montréalaise (oublions le Rap à Billy et autres Ça rend rap…) a mis plus de temps à s’établir dans les grands médias. Mais la culture hip-hop, elle, a été représentée tôt dans son histoire dans les hautes sphères.

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Photo d'en-tête : La Gazette (Archives Blondie B)

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