Le rap québécois en a pris plein la gueule en 2019. Dans le bon sens. Les coups des acteurs de notre scène ont d’ailleurs été soulignés de nombreuses fois cette année. De ceux-là, rappelons-nous les Centre Bell de Loud, le MTELUS de 5sang14, la chanson SOCAN de l’année de Tizzo et de sa bande ainsi que le prix Gémeaux d’Olivier Arbour-Masse pour le documentaire Street rap : le son de la rue. C’est sans oublier le premier numéro d’ouverture exclusivement hip-hop au Gala de l’ADISQ 2019 ou encore le Félix pour l’Interprète masculin de l’année remis à Loud. C’était une première pour un rappeur québécois.

17 ans après le coup d’éclat du 83 à l’ADISQ, on y est : le hip-hop québécois commence enfin à avoir la reconnaissance qu’il mérite à l’ADISQ. Le rap connaît un succès qui dépasse largement les autres genres musicaux. C’est donc normal de le souligner à sa juste valeur. Sauf que l’industrie avec un grand I est-elle prête à recevoir tous ces rappeurs ? Certaines des réactions face à l’inclusion de ce genre sont peu concluantes et les rappeurs semblent toujours avoir du mal à être pris au sérieux.

Une chroniqueuse méprisante sur le numéro d’ouverture

Il ne faut pas s’étonner quand les chroniqueurs du Journal de Montréal méprisent quelque chose. Les commentaires d’une certaine Sophie Durocher ont toutefois trouvés écho parmi plusieurs néophytes. Dans une chronique intitulée Un gala sans faute, Durocher semble critiquer l’interprétation de chacun des artistes du numéro d’ouverture : Loud, Sarahmée, Souldia, Fouki et Koriass auraient baragouiné leurs textes. Elle soutient qu’on n’y comprenait « pas un mot ». Pourtant, les rappeurs invités ont livré leurs paroles avec une justesse indiscutable : Loud a lâché un texte posé accompagné d’un piano, puis Souldia et Koriass ont réussi à se faire entendre malgré le débit très rapide de leur performance respective. Faut-il être un amateur de rap pour comprendre les mots d’un rappeur ? Peut-être, mais ce n’est pas un grand problème. La musique brutale, comme le métal, se porte très bien malgré cela. Elle n’est simplement pas encore comprise de tous, comme le rap.

Encore des stéréotypes pour faire rire le public

Le rap a pris une place notable dans les interventions de Louis-José Houde tout au long de la soirée. Le grand de l’humour au Québec, qui anime le Gala de l’ADISQ depuis 14 ans, a d’ailleurs offert un (excellent) numéro complet sur FouKi dimanche dernier. Soulignant la «progression géographique» du rappeur dans la salle, l’humoriste a profité de l’occasion pour divulguer les demandes de FouKi lorsqu’il s’adonne en concert. Dans la foulée, Louis-José s’est dit heureux qu’un rappeur souhaite des fruits et des grignotines dans sa loge. Cela briserait un mythe. Encore une fois, nous avons l’impression qu’un rappeur n’est pas une personne comme les autres. Pourquoi s’étonne-t-on qu’un humain mange des fruits ou des grignotines? De quel mythe s’agit-il? Ces stéréotypes que nous entendons constamment sont faux. Même si cela est fait avec une approche humoristique, n’oublions pas que l’humour est une forme d’art qui cherche à souligner certains aspects de la réalité. La réalité des rappeurs semble à mille lieues de ce que s’imagine le commun des mortels.

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Un déguisement pour la remise du prix Album rap de l’année

Le clou du Gala de l’ADISQ 2019 revient décidément à Coeur de Pirate lors de la remise du prix pour l’Album rap de l’année. Celle qui a reconnu être la personne la moins bien placée pour remettre le Félix en question est effectivement arrivée «actualisée» pour remettre la statuette au gagnant. La chanteuse, qui a d’ailleurs signé une excellente collaboration avec Loud sur son plus récent album, a pris la peine de se changer pour l’occasion. Coeur de Pirate est débarquée sur scène en lançant un «yo les jeunes» qui a fait éclater la salle de rire. Elle était surtout vêtue d’un accoutrement douteux,  incluant une chaîne autour du cou, un vêtement sport et un chapeau. Ici, Coeur de Pirate utilise les clichés vestimentaires afin de s'habiller comme un rappeur d'une époque lointaine. Pourquoi doit-on encore caricaturer le rap en 2019? Coeur de Pirate était parfaite dans sa tenue du gala, mais elle a tout gâché en voulant se déguiser pour remettre un prix à des artistes qui essaient tant bien que mal de prouver le sérieux de leur art.

En a-t-on réellement besoin ?

En entrevue avec Le Journal de Québec, 2Faces a avoué qu’il reste beaucoup de chemin à faire afin que l’ensemble du rap soit accepté. Pour l’ex-rappeur et co-fondateur d’Explicit Productions, c’est simplement une version javellisée du hip-hop qui réussit à se rendre là. « Ce n’est pas une critique envers les artistes qu’on a vus dimanche, il y en a beaucoup que j’admire. Sauf qu’à part Souldia, c’est comme si tout ce qui est “hip-hop street” est toujours dans l’ombre », admet-il au journaliste Cédric Bélanger du Journal de Montréal qui a voulu mettre en lumière les événements du 83 à l'ADISQ en 2002. Peu peuvent le contredire.

Si l’industrie a des préjugés à propos des rappeurs gentils comme FouKi, imaginons maintenant ce qu’elle pense des artistes atypiques qui proviennent de milieux un peu moins roses. Ce sont surtout ces rappeurs qui fonctionnent présentement.

Au fil du temps, nous avons réussi à se frayer un chemin dans l’ombre sans l’aide de l’industrie. Avec nos médias spécialisés, nos propres bookeurs, nos maisons de disques indépendantes gérées par des experts du milieu hip-hop et, maintenant, des réseaux sociaux qui arrivent à joindre des milliers de fans partout en province et même à l’extérieur du pays. Nous vendons des disques, générons des streams et des milliers de clics aux médias qui couvrent le hip-hop. Nous remplissons les salles de spectacles et nous faisons de l’argent. Les programmateurs de spectacles ou de festivals et les diffuseurs commencent à comprendre qu’ils ont besoin de nous. Aujourd'hui, même les rappeurs dits street arrivent à fouler les scènes des plus grands événements. Si la radio n’est plus nécessairement le but premier d’un rappeur, que reste-t-il de plus à aller chercher ? Pratiquement rien.

On le demande depuis longtemps, mais est-ce que recevoir un trophée qui coûte des milliers de dollars en inscription et en billets d’entrée vaut vraiment la peine? Il tombe dans l’oubli quelques semaines après. Au final, nous sommes peut-être bien où nous sommes. Loin de leurs jokes de mononcles et de leurs déguisements ridicules. Un gala où on s’offusque d’arriver en jeans et en coton ouaté mérite-t-il réellement notre présence ? A-t-on réellement besoin de leur reconnaissance ? C’est encore légitime de se poser la question.

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