Six ans après Océan, le vétéran refait le bilan de ses voyages avec Nouvelle vague, une note à la fois. Pour en discuter, le rendez-vous est pris devant le Parvis, cœur de l’activité extra-musicale du Festif ! de Baie-Saint-Paul. Pendant que Catherine Pogonat se donne au public venu assister aux diffusions en direct des programmes musicaux d’ICI Musique, Baie-Saint-Paul s’enivre. D’un commun accord, on décide de s’abriter du bruit et du soleil plombant. Rencontre au cœur du Québec.

Quand on le rencontre, on est marqué par son visage impassible. Il esquisse ça et là un sourire, surtout quand Skorpyon et Stan lui font une blague, mais c’est rare. Au fil des échanges, on comprend que le jeu des entrevues ne l’emballe pas particulièrement, lui qui a vu nombre d’artistes se faire tordre leurs propos pour un titre accrocheur. Et on le comprend bien. Avec un succès pareil, il était normal que les médias généralistes s’en emparent rapidement et sans scrupule, trop rapidement pour saisir les subtilités de son auteur.

La discussion s’enclenche autour de ce qui lie notre journaliste à Manu Militari : leur amour pour l’Égypte. Ayant passé une partie de sa jeunesse à Alexandrie, ville d’origine de ses parents, Christophe Jbeili était particulièrement touché par la façon dont le MC décrivait l’expérience de l’altérité dans « Khawaga » (extrait de Nouvelle vague), qui plus est dans un dialecte égyptien impeccable. Ce sur quoi il décide de l’interroger, histoire de briser la glace.

« J’ai toujours voulu mettre un peu d’arabe dans mes chansons, confie-t-il. Je voulais décrire comment je pouvais me sentir étranger dans un autre pays et comment ça pouvait être similaire pour quelqu’un qui vient au Québec. » Grâce à ce lien, on avait enfin accès à l’homme derrière la façade.

Celui qui revient de deux ans au Brésil avoue avoir eu la piqûre du voyage assez tôt. « J’ai fait le tour du Québec sur le pouce à 16 ans. L’année d’après : le tour de l’Europe de l’Ouest. J’avais 20 ans quand j’ai pris mon premier billet pour l’Égypte. Je cultivais le fantasme d’un monde meilleur à ce moment-là. J’étais en colère contre le monde, je ne m'aimais pas, je n'aimais pas les gens autour de moi. Je ne l'ai pas trouvée, évidemment. »

Éventuellement, cette fougue adolescente et la désillusion qu’elle engendre allaient être à la source d’un désir de construction de soi qui se matérialisera en un premier album solo, Voix de fait, classique incontesté du rap québécois. « Mon premier album, je l’ai payé de ma poche à 100 %. J’ai pas été repêché, personne m’a tendu la main. Personne m’a donné une cenne, c’est l’argent de la rue qui a financé ça. » Même si le rappeur avoue être fatigué du brag dans le rap, il aime s’autoriser quelques tapes dans le dos quand vient le temps de faire le bilan de sa carrière longue de 22 ans.

Avec son style brut et son ton monotone, le rappeur touche une corde sensible pour les amateurs de rap francophone de la fin des années 1990. La grisaille des ruelles de la métropole imprègne presque entièrement ses lyrics. Le vétéran a également un goût prononcé pour les pistes instrumentales de mélodies mineures. Quelque chose d’assez commun pour un rappeur de sa génération, dira-t-on. Il faut dire qu’on a quelques repères communs quand on écoute ses albums. « Mais je veux les briser ces repères, je veux pas laisser les gens trop confortables. » On était assez d’accord que les pointes trap et funk, ainsi que son emploi mesuré de l’auto-tune, faisaient de Nouvelle vague une œuvre unique dans sa discographie. Le travail de Benny Adam et Gary Wide y était sans doute pour quelque chose.

Quand on l’interroge sur une certaine punchline, visiblement dirigée à l’encontre de Loud (« Mon franc-parler remplira jamais le Centre Bell. J’pas trop franglais, j’suis plus Jacques Brel »), le membre de Rime Organisé remet directement les pendules à l’heure : « C’est une tape dans le dos, un big up. Je lui ai clairement fait un clin d'œil en premier, et il m’en a fait un autre. Il n'y a pas de hard feeling. » Saine compétition, donc. « J’ai rien contre le franglais, j’feel juste pas ça », ajoute-t-il. Ça a le mérite d’être clair.

Si le rappeur aime saluer la nouvelle génération, il réserve parfois certains hommages bien sentis à ses inspirations d’antan : J’suis Montréal comme Chien Manger Chien. « Ce track (J'suis Montréal de CMC, NDLR), c’est un des tracks d’ici qui m’a le plus marqué. C’était tellement real. J’ai pas souvent fait de big up, mais je trouvais que celui-là était cool à faire. »

Un blueprint pour cette œuvre tout aussi réelle et sombre que les précédentes, bien qu’elle finit inévitablement par s’illuminer sur la fin. Car si la pression est omniprésente dans ses albums, la sérénité reste pour un de ses maîtres-mots. « J’suis pas pressé, j’suis pas dans une course, j’vois pas la vie comme ça. J’ai pas envie de vivre de stress. J’ai pas écrit une ligne depuis que l’album est sorti. J’ai pas envie de mourir de stress. Je ne me presse pas, je sais que l’inspiration arrivera le moment venu. »

Cette paix d’esprit, elle lui vient entre autres de la gratitude qu’il a de pouvoir faire ce qu’il fait, selon ses règles à lui. « Je suis béni, la réception de cet album est vraiment au-dessus de mes attentes. J’ai fait 0 promo. J’ai envie d’en faire un autre mais pour l’instant, je profite de celui-là. » En tant que fan de Manu, c’est évidemment tout ce qu’on peut lui souhaiter.

Manu Militari lancera l'album Nouvelle vague le 17 septembre prochain au National.

Photo : Félix Renaud

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